
TEXTE N°3 pour L’ORAL
En attendant Godot de Samuel Beckett (1953)
Le monologue de Lucky
Introduction
La pièce de Beckett , en attendant Godot, est considérée comme le chef d’oeuvre du théâtre de l’absurde : deux employées aux costumes usés attendent, au bord de la route, à coté d’un arbre rachitique, maigre, dégarnie, un mystérieux GODOT qui leur a donné rendez vous a un lieu précis. Vladimir et Estragon semblent obéir aux ordres d’un maitre indéfini; vague, sans ancrage social et pour un rendez vous sans but précis : quelle affaire ont-ils a régler ensemble ? Qui est Godot ? Ces questions sans questions sont caractéristiques du courant de l’absurde, ou la condition humaine est comme "détachée" des occupations quotidienne des problématiques du monde du travail ou des soins familiaux. Les deux "amis" ou "compères" cherchent à passer le temps car Godot tarde, tarde… et ne viendra peut être jamais. Surgit alors un autre duo, Pozzo et Lucky, et laisse, tel un maitre et son esclave. Il ordonne à Lucky de parler s’arrêter en un numéro de chien savant : "pense, porc!". Le "monologue" de Lucky est donc comme une longue récitation machinale, une immense tirade pour être précis, mais qui ne semble s’adresser a personne, comme si Lucky était seul en scène en scène. Esclave obéissant, Lucky exécute son "numéro" de "pensée" en associant des bribes de discours scientifiques, anthropologique, métaphysique, sportif, etc. Sa pensée divague sur les ruines de la logique argumentative. Mais le soliloque de Lucky est-il dénuée de sens ? Nous verrons donc dans un premier temps le décousue recherché et dans un second temps un sens fragile qui se dessine.
(Dans le cadre du théâtre de l’absurde, le spectateur n’est guère surpris d’entendre un grand discours très décousue et sans logique repérable, dont les enchaînements loufoques semblent plus destinées a amuser qu’á délivrer un message. Pourtant, une sorte de signification imprécise se dessine dans les grandes lignes en jouant sur les répétitions insistantes de certains mots ou des redondances d’idées.)
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Le décousue recherché
A- Rupture, sauts, décalages
Le discours se lance par un connecteurs logique très sérieux sur le plan déductifs : "étant donnes que…" après la subordonnes de cause, on attend une conséquence logique, un "donc". Mais, pas de trace d’une vraie déduction. Le préposée ou hypothèse de départ est "l’existence d’un D. personnel qui nous aime bien a quelque exceptions près on ne sait pourquoi." Le texte multiplie les parenthèses, les précisions secondaires, les remarques adjacentes. A quelque exception près, on ne sait pourquoi mais sa viendra. La parenthèses n’est pas indiquer par la ponctuation mais elle est présentes logiquement d’ailleurs il n’y a aucune ponctuation ce qui donne l’impression d’une grande logorrhée. Le numéro de Lucky consiste a tenir la parole pendant 10 minutes sans s’arrêter. Les mêmes fragments syntaxiques reviennent en "boucle" coupant la logique du discours et rendant le raisonnement presque impossible a suivre : "on ne sait pourquoi" (ligne : 6,7,21,29,37,41 et 59) Cette "petite remarque" secondaire devient presque principale a force d’insistance : le propos de Lucky est d’avouer son ignorance, mais aussi celle des autres ("on") au sujet de l’existence de Dieu, de la science, du sport, etc. Ce texte N’APPORTE PAS DE REPONSE EXISTENTIELLE.
Un autre mot revient souvent "couper " le discours continu : "inachevés" (ligne 15, 23(x2), 24(x2), 66 et dernier mot). Ces vocables récurrent fonctionnent comme un motifs musicales ou "leitmotive". De nombreux autres éléments textuels reviennent tels : "enfin bref , je reprends". Ces connecteurs ou rapport logique ne remplissent plus vraiment leur fonction mais signalent un discours qui se cherche, une pensée qui bégaie une réflexion laborieuse qui piétine.
B- Un comique de "chaos"
Ce texte très long, répétitif, sans progression très claire, non ponctué, donne une impression de chaos, d’avalanche verbale qui "ensevelit" les auditeurs sous des torrents de mots. D’où la tension progressive qui touche d’abord Pozzo, comme l’indique les didascalie marginales (dans la marge a gauche ) : "Souffrances accrues de Pozzo" (vers la ligne 20) "Pozzo s’agite de plus en plus" (ligne 30-35) : "Pozzo se lève d’un bond, tire sur la corde. Tous crient" (lignes 45-50). Le language se désarticule comiquement : quaquaquaquaquaqua entend on ligne 3 puis "caqua" encore, un enrayement du discours qui evoque un mot obscène. Le même blocage se retrouve sur le mot, qui deviennent ligne 16 : "Acacacacademie de même que l’anthropopopopometrie". Le comique devient poétique avec des rimes intérieurs en terre/air ligne 36 "Sur terre, sur mer et dans les airs" et ligne 56 : "dans leur ère l’éther, la terre, la mer pour les pierres" idem 53 et 54, dès la ligne 51 avec les "lumière". A cela s’ajoute un comique des noms propres, choisie pour ce qu’ils évoquent : têtu et connard (x3) Poiçon et wattman (dérive de watt), Steinweg et Peterman : 3 duo "comiques" assez improbables comme des reflets des deux "duos" de la pièces. Dernier élément comique que nous relèverons (mais il y en a bien d’autres ) : les longues énumérations avec des éléments fantaisistes "conations" (ligne 32) entre "l’aviation", pas a sa place. Ou bien encore : "tennis sur gazon sur sapin et terre battue"
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Un sens fragile se dessine
A- La déshérence ou l’abandon par Dieu
Cet immense monologue et comme l’expansion immense, proliférante d’une pensée minimale dont becket livre le résumé : "le ciel étant insensible a la souffrance humaine; l’homme rapetisse, tout espoir s’envole; la Terre vomissant des pierres se pétrifie"
Ce "schéma" illustre le pessimisme de becket : dieu se désintéresse de l’homme "on ne sait pourquoi", (d’ou la répétition de cette formule tragique : pourquoi Dieu nous abandonne ?). Cet homme livré a lui même, privé de la foi "rapetisse", "est en train de maigrir "(ligne 28) "est en même temps parallèlement de rapetisser on ne sait pourquoi" (ligne 37-38), qui s’oppose a la vérité scientifique mais prend un sens symbolique. La troisieme étape de la pensée est une espèce de cataclysme, de fin du monde ou les éléments se mêlent : "l’éther, la terre, la mer pour les pierres par les grands fond, les grand froids sur mer sur terre et dans les aires penchèrent, je reprend." (ligne 56-58). Les pierres l’emportent image de destruction volcanique, de pétrification comme par la méduse (ligne 55,60,63,65,67et 69) : " hélas les pierres". Le monologue apparait donc comme une avalanche de mots, un éboulements du langage, et parfois une éruption volcanique. L’amplification de la ligne directrice assez simple évoque une boulimie de langage, dans un ressassement indéfini (répétition nombreuse en tout sens). En somme, Lucky part d’un désastre scientifique et sportif (ces 2 activités ne pouvant enrayer le "rapetissement" de l’homme ) pour aboutir à un désastre cosmique : l’univers se pétrifie. Le langage se réduit a a fin a des mots épars détachés, déstructurés, sans syntaxe : les vociférations de Lucky , des cris a peine articules : "Tennis !…les pierres !…Si calmes !…Connard !…inachevée!…". Ce sont les ruines du langage, les "pierres" qui ne forment plus l’architecture du sens.
B- Les efforts humains : science et sports pour trouver un sens
Lucky commence son discours comme un numéro de "chien savant" (n’oublions pas qu’il est tenu en laisse) un exercice de cirque, une "performance d’acteur". Les spectateurs "un abîme" (c’est du théâtre dans le théâtre) commencent par écouter attentivement : "Attention soutenue d’Estragon et de Vladimir (didascalie marginale). Mais Pozzo n’est pas conquis ! Connaissant trop son valet qu’il "montre" ici ou là, sur son parcours. Dès le début il regarde et écoute avec "accablement et dégout" (marge) Pourquoi ? Est-ce l’attitude servile, basse, sans dignité, de Lucky obéissant sans sourciller a son ordre qui le dégoûte ou le contenu du discours, toujours le même, désespérant, obsessionnelle, ou encore l’absence d’ordre logique, d’art oratoire, de structure, de déduction, de maitrise : ce serait un "sous-discours" une parodie de langage, un balbutiement d’enfant ou de fou. Ce serait le jeu de la fatrasie au moyen-âge et au 16eme siècle, discours abondant et chaotique : le sens disparait au profit des sons (un type de poème): c’est un "fatras" de mot que déballent Lucky comme un marchand forain qui déballent en marchandise ! La souffrance de Pozzo va croissant, sans doute par la difficultés de "suivre" le discours chaotique (qui va dans tout les sens) de Lucky; répétitions trop nombreuses, retours en arrières avec "l’effet de boucle" impression de piétinement, manque de clarté de logique. Même les phrases "de base" sont disloquées par les ajouts et précisions diverses : "étant donner l’existence […] d’un dieu personnel […] qui[…]nous aime bien […] (L.15) […] et souffle […] (l.6) […]" On passe "des souffrances accrues" pour pozzo à des "gémissement" de 10 lignes, la souffrance auditive atteint un degrés insupportable, il "s’agit de plus en plus" ligne 34 puis, "se lève d’un bond tire sur la corde". Vladimir et Estragon, patient au début, ni tiennent plus; "tous se jettent sur lucky, qui se débat, hurle son texte" (ligne 53 a 56). Les didascalie, "de marge" son redoubler par des didascalie "de texte" qui vont dans le même sens : "mêlée , Lucky passent encore quelque vocifération" (ligne 58 avant dernière)
Conclusion
En conclusion, le monologue de lucky est rester célèbre comme un sommet du théâtre de l’absurde, tel un "morceau a fair", une prouesse d’acteur, dans la quel le langage sert plus de jonglerie que de raisonnement. Beckett à soigneusement "effacé" le sens de ce discours à force d’éléments surajoutés jusqu’à étouffement quasi physique des spectateur "inscrits" de ce numéro mis en abyme. Le crescendo voulu par Beckett propose également un grand moment de paroxysme théâtrale, une sorte d’explosion nerveuse dans une pièce pour le reste monotone, comme l’impose le thème de l’attente si dieu au départ "était le verbe", mais sommes bien ici sur les ruines du langage, dans la déréliction totale.
M. AMIRATI
EITAN BENITAH
NOA NABET / DANIEL ZERBIB